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Visite de travail du VvK 2025

Visite de travail du Vvk au CrsK


Entre le 12 et le 27 octobre, une délégation de notre groupe de travail  'Les Amis de Kankala' – Balunda ba Kankala a effectué une visite de travail au CrsK. Notre groupe était accompagné de Jos Craemers, président de l’ORS (une organisation sœur de Kankala), ainsi que de Jos Ceyssens, frère de Marc Ceyssens, président du VvK Belgique. En tant que participant externe, Jos Ceyssens a pu porter un regard ouvert sur le fonctionnement du CrsK et en témoigner. Ses expériences et réflexions seront partagées plus tard dans notre bulletin de décembre.

Le rapport de notre voyage est en grande partie basé sur le journal de Jos Ceyssens. Avec son frère Marc, tous deux nés au Congo, ils sont retournés (comme nous tous) lors de cette visite sur leur lieu de naissance, Kamponde. Ce récit est donc non seulement un compte rendu des activités et réunions du group de Kankala, mais aussi une histoire personnelle, empreinte de souvenirs et de vécu.

À noter : comme les années précédentes, tous les participants ainsi que les membres du VvK financent entièrement le voyage de leur propre poche et apportent, au passage, leur soutien à de petits besoins locaux.

Annie Rapport – Secrétariat VvK

 

Jour 1 – Départ et arrivée à Kinshasa
 

Un dimanche matin, nous sommes huit à Zaventem… Annie, Caroline, Jan, Jos, Liliane, Luc, Marc et Ward, valises prêtes, rassemblés pour un vol de 8h20 vers Kinshasa. Là, nous séjournerons à la Procure Sainte‑Anne. Soixante‑cinq ans après mon départ de Kinshasa, à l’âge de neuf ans, je reprends l’avion vers le Congo. Un peu tendu malgré tout.

À l’aéroport de Kinshasa, tout se déroule dans une atmosphère agitée et chaotique. Le grand appareil photo d’Annie attire l’attention et suscite la méfiance des douaniers. S’ensuit une véritable « course folle » à travers le trafic chaotique jusqu’à la Procure des Pères de Scheut.

Après l’inscription et l’installation à la Procure, un repas nous attend : du poulet froid avec des frites, soigneusement emballés sous une pellicule plastique. Mais la faim rend tout savoureux, et avec une bière fraîche, nous savourons pleinement ce moment.
Congo, nous voilà !

Jour 2 – La Procure – Visite à Siafe

Après un petit déjeuner frugal, nous explorons la Procure des Pères de Scheut. Elle tient bon, avec courage. Construite en 1920 par les Scheutistes, elle servait de tremplin vers l’intérieur du pays, quinze ans après que la Belgique dut officiellement reprendre l’État indépendant du Congo des mains du roi Léopold II. Ailleurs, j’en dirai davantage. En 1930, selon Van Reybroeck dans son épopée Congo, il y avait autant de religieux que de fonctionnaires et de militaires au Congo : pas moins de 30 000 personnes.

L’après‑midi, nous sommes accueillis par le Père Johan, Scheutiste (l’un des derniers des Mohicans), et par sa collaboratrice Marceline, sortie du couvent il y a longtemps. Ensemble, ils dirigent au cœur des quartiers pauvres de Kinshasa une maison de jeunesse pour enfants des rues, filles et garçons. Atelier de couture, boulangerie, formation de coiffure, dortoirs indignes de ce nom, nourriture, boisson… Rarement ai‑je rencontré une femme aussi engagée, infatigable, forte. Sans aucun soutien de l’État, jour après jour. Chacun de nous s’est vu ajuster une manche et pourra bientôt flâner dans une tenue congolaise.

La nuit tombe soudain, et après une traversée folle, véritablement dantesque, nous trouvons le repos dans un restaurant italo‑congolais, cette fois en plein centre brûlant de Kinshasa. Le vin, la bière et la pizza font le reste. Retour à la Procure. Demain, lever tôt. Vol intérieur.

Jour 3 – Vol vers Kananga et accueil à Tsheila

Nous commençons très tôt à la Procure de Kinshasa. Un petit passage par la chapelle des Scheutistes, un lieu où le ciel et la terre semblent se rencontrer à Kinshasa.

Après une véritable épreuve, nous arrivons à temps à l’aéroport. Bien plus vite que prévu (grâce aux contacts de Jan), nous nous retrouvons dans une salle d’attente luxueuse. Une omelette avec quelques légumes et une bonne bière écourtent l’attente pour la caravelle vers Kananga. Un vol sans problème. Nous survolons la mégapole de 20 millions d’habitants en direction de Kananga, qui en compte 2 millions.

Émotion pour Jos et Marc lorsque Jos, sur la même piste qu’il avait quittée avec son frère et sa sœur il y a 65 ans, peut à nouveau poser le pied.

Émotion aussi pour nous lorsque Buffalo, Étienne et Germaine nous accueillent. Le trajet vers Tsheila est beaucoup plus facile. Derrière de hauts murs blancs et une porte métallique grinçante, nous pénétrons dans le centre où l’accueil des enfants et du personnel est des plus chaleureux.

Émotion encore. La direction prononce un discours, suivi d’une courte prière, et Marc prend également la parole. La nuit tombe rapidement et un orage tropical se forme au‑dessus de Kananga. Éclairs, tonnerre, pluie diluvienne. Juste à temps, nous trouvons refuge dans un restaurant de poisson et de poulet. Sous la pluie et dans une mer de boue, nous reprenons ensuite la route vers la maison, vers Tsheila.

Jour 4 – La charité – Assemblée générale – Visite chez les Scheutistes de Kananga

Petit‑déjeuner avec du lard brabançon et des œufs congolais, fruits tropicaux, fromage et confiture de notre pays natal. À volonté.

Le mercredi matin, les veuves qui participent au programme de la Charité du CrsK se rassemblent à Tsheila pour la distribution de farine. Ce sont des femmes particulièrement vulnérables, certaines sont aveugles.

À 9h30 précises, Marc Ceyssens, président, ouvre la première et aussi la plus importante des réunions. Auditorium plein, tout le monde présent : les directions locales et nous. Excellente présentation PowerPoint, sans le moindre accroc. Discussions animées. Les chiffres et la nouvelle philosophie des Wilde Ganzen sont expliqués. Pas un verre d’eau pour personne, pas même pour le président. Mais à la fin, chacun garde un bon sentiment.

Ensuite, avec deux jeeps, nous allons chez le Père Yvo, dans la maison provinciale des Scheutistes. Une immense oasis au cœur de Kananga. Construite en 1920, les bâtiments et le parc brillent encore de toute leur beauté simple et pure. Un arbre monumental devant la maison resplendit par sa taille, son ombre, sa sagesse et sa sérénité. Luc n’a pas pu résister et a grimpé à cinq mètres de haut, jusqu’à ce que les fourmis rouges lui crient : « Ici, ça suffit, Luc ! ». Plus vite que vite, il était redescendu. Le Père Yvo était au paradis avec son tabac, un ordinateur, un appareil auditif, une bouteille de Bols et une enveloppe de sa maison d’origine. Vive le Père Yvo. Qu’il vive encore longtemps et heureux ici.

Retour à Tsheila pour un délicieux repas préparé par monsieur Benoît.

L’après‑midi, visite de Kananga 2. Accueil comme seules les femmes et les jeunes filles savent le faire : chants, fleurs pour le président, une ronde dans le centre et dans la petite école un peu plus loin. Bonheur pur chez les enfants et les accompagnatrices. Et chez nous aussi. Au moins quatre avions passent en rase‑mottes, puis Buffalo confie à Jos : « Je passe devant le collège Saint‑Louis ».

Un collège où, il y a 65 ans, Jos et son frère Jo avaient été internes pendant trois années consécutives, à un très jeune âge. Première, deuxième et troisième année scolaire. Quelle émotion. Les mêmes bâtiments, les mêmes réfectoires, les mêmes galeries, les mêmes salles de classe, un grand parc intérieur identique. Seule la fontaine en béton avec ses mini‑crocodiles a disparu. Nous avons gravi le bloc des internes (merci Luc), le même escalier vers le premier étage, la même petite chambre pour deux, une vieille armoire, pas de lits, des graffitis partout. Bientôt, le bâtiment sera rénové. Je n’ai pas pu m’empêcher de graver « Jos et Johan 1960 » sur le mur de la chambre, en hommage à mon frère aîné qui, à l’époque, m’avait protégé bien au‑delà du rôle d’un simple frère. Pas facile. En sortant, nous voyons des centaines d’enfants disciplinés en blanc et bleu. Tous en rangs de deux. Une fois que je leur raconte mon histoire (je suis un ancien élève ici), une explosion d’enthousiasme et de bruit éclate. Une véritable cohue. Émotion pour moi, et aussi un peu pour mes compagnons de voyage.

Nous repartons avec peine. Partout, les Chinois construisent de nouvelles routes. Le soleil se couche à l’ouest comme seul un soleil peut se coucher en Afrique. Monsieur Benoît nous attend à Tsheila avec du poisson frais et du riz.

Jour 5 – Visite aux garçons du Village des jeunes Kankala – Réunion et 'petit comité'

Jeudi, jour de fête. Aujourd’hui, nous visitons le domaine‑couronne de ce beau projet : Le Village des jeunes Kankala, à 15 km de Kananga.

La route devient de plus en plus étroite et ravinée. De moins en moins de motos et de vélos préhistoriques, lourdement chargés, nous croisent. De moins en moins de piétons, femmes, hommes, enfants. Presque jamais de personnes âgées.

Soudain, presque au milieu de la brousse, une masse d’enfants bleu et blanc, qui s’étend, chante, crie et jubile. Quel accueil, quel accueil! Marc est reçu comme un messie, et nous avec lui. Discours de Marc et de Ward, cadeaux, maillots, ballons de football, une pompe.

Nous découvrons le vaste domaine du Village et visitons l’école nouvellement construite. Nous en sommes fiers!

Classe après classe, dortoir après dortoir, cuisine, chapelle et bureaux de direction sont parcourus. Le plus beau papillon et le serpent le plus laid ont été aperçus (ce dernier sans tête). Retour vers Kananga. Mais d’abord une halte baignade, en voyant les enfants nager dans le petit lac idyllique de Kansese. Luc se joint à eux. De retour à Tsheila… Notre cuisinier Benoît a préparé un délicieux porc rôti.

Diverses petites réunions ont lieu à Tsheila, le domaine administratif de Kankala. Réunion notamment avec les dames de Kananga 2… Annie, Caroline et Liliane sont impressionnées par l’ampleur de leurs tâches et par la manière passionnée dont elles s’engagent pour les enfants.

 

Jour 6 – Open milieu – Charité – Visite à Mpokolo et au centre de santé Cerdes – Réunions

Vendredi matin. Petit‑déjeuner avec, entre autres, de la Vache Qui Rit, de la confiture de cassis et l’omelette obligée. Les enfants d’Open Milieu, tous réunis avec leurs parents dans le passé et envoyés dans diverses écoles aux frais de l’association, viennent nous saluer sous la conduite de Beya, un sage de la tribu. Un ancien scout du Village tenait à être présent. Son totem est Buffle, le mien Merle. Le salut à trois doigts levés reste universel.

Le vendredi matin, le programme de la Charité a lieu à nouveau, apportant un soutien aux plus vulnérables. La Charité comporte deux formes d’aide : le vendredi, un soutien financier est distribué, et le mercredi, de la farine est remise à ceux qui le souhaitent.

Puis, en jeep avec le Père Yvo, nous partons vers son projet Mpokolo. Nous croisons des centaines de candidats policiers en formation de course. Impressionnant, voire menaçant. Mpokolo. Quel projet modèle ! Des enfants des rues recueillis, accompagnés par trois assistants sociaux et une petite équipe. Direction la famille si possible, ou le Village Kankala comme accueil temporaire. Lit, bain, pain et jeu. De vrais lits solides, pas de matelas à même le sol. Tout est sobre et propre. Les réserves de vêtements, les provisions de cuisine, le réfectoire, les toilettes. Tout.

De nouveau en jeep, nous reprenons la route vers Cerdes. Le Père Yvo, presque octogénaire, conduit un parcours impeccable au milieu d’une flotte de motos et d’étals colorés ininterrompus. « L’un de ceux‑ci vend des chenilles », lance Luc. Cela ne présage rien de bon.

Cerdes est un centre de santé géré depuis des générations par les Scheutistes. Toujours soutenu, entre autres, par nos parents. Très récemment, il a été entièrement rénové grâce à la Banque mondiale et à l’USAID. Quel petit centre bien équipé ! Une Congolaise vient d’accoucher de jumeaux et un petit message politique est affiché sous une affiche américaine. Et voilà que l’administration Trump et le gouvernement flamand arrêtent leur aide au développement. Shame !

Retour à notre centre administratif de Tsheila. Repas, courte sieste, puis quelques réunions importantes. L’infirmerie est en même temps fortement réaménagée et nouvellement équipée par Luc, Jos et Étienne. Luc lui apprend à plâtrer poignet et bras. Étienne est vraiment un bon infirmier aussi.

On se réunit « en petit comité » avec Open Milieu et avec les membres du CA et la direction. Discussions, arguments, écoute et planification.

À sept heures, la réunion se termine par une petite prière. Pour moi, une expérience particulière. Repas chaud : poulet, tomate, pommes de terre et… chenilles frites avec oignons. Oui, tu lis bien. Chenilles, croustillantes, peu de goût. Pas vraiment mon truc. Marc est fatigué. Il disparaît discrètement. La nuit tombe comme une pierre. Un orage éclate avec fracas. Pluie lourde, vent et éclairs terribles. Je reconnais à nouveau les orages de mes premières années de vie ici. Demain, ce sera Mikalay, de l’autre côté de la Lulua. Mon/notre village natal (celui de Marc, de moi‑même et de nos frères et sœurs).

Jour 7 – Week‑end. Visite à Mikalayi


Aujourd’hui, destination Mikalayi, de l’autre côté de la Lulua. La plus ancienne et la plus grande mission des Scheutistes, perchée sur une colline. Jan y a travaillé deux ans comme infirmier dans les années 1980. Tombé amoureux de la région, il y est souvent revenu et, récemment, avec un petit groupe de techniciens venus de Flandre (Balunda ba Mikalayi), il a entièrement rénové la centrale hydroélectrique existante. Avec tout ce qu’il fallait. Un travail immense.

Jos et Marc sont nés ici dans les années cinquante et soixante. En 1960, à neuf ans, je descendais avec mon frère et l’évêque local le même long escalier et la même longue conduite métallique vers la rivière aux grandes pierres plates. Je m’en souviens si bien. Voilà le contexte. Nous quittons la ville tant bien que mal, traversons la large Lulua par l’ancien pont. Je me rappelle encore l’image entière de ce puissant courant. Aujourd’hui encore, des femmes y lavent leur linge sur les pierres plates.

Un nouveau pont est en construction plus loin. Déjà plusieurs kilomètres ont été asphaltés par les Saoudiens. Ce n’est pas toujours misère et désolation au Congo. Vraiment pas. Nous plongeons dans la brousse, les pistes sablonneuses détrempées se rétrécissent de plus en plus, les maisons deviennent des huttes, les échoppes disparaissent. Nous passons d’abord par Malanji, premier établissement belge en 1880, fondé par des explorateurs allemands, puis Léopold II envoya les Scheutistes au Kasaï et ils apparurent aussi ici. Fièvre jaune ou non, malaria ou non, ils vinrent en grand nombre.

Puis Mikalayi surgit, avec tout ce qui s’y rattache, le long d’une longue piste de sable. Maison de mission, une « cathédrale », un évêché, une série d’écoles, un nouveau bloc opératoire, des maisons de service et la maternité où Marc, Jos, leurs sœurs et frères sont nés. Nous sommes chaleureusement accueillis. Je reconnais beaucoup, pas tout, et je vois qu’après cent ans, le temps ronge et ronge les murs, les toits et le bois. Mais il y a aussi, çà et là, des points lumineux.

Un repas quatre étoiles avec une variété de légumes tropicaux (enfin !) accompagné de poulet et de poisson nous est offert par une sœur, véritable ange, dans l’ancienne salle à manger des Scheutistes. La sauce pilipili était du meilleur niveau. Prêts pour la descente en voiture vers le barrage et la centrale hydroélectrique rénovée. Sobre, chic, efficace et moderne.

Jan envoie son drone dans le ciel. L’événement de l’année pour des dizaines d’enfants. Après, ils se jettent avec joie dans le réservoir. Luc descend l’escalier tel un prophète, entouré d’une bande d’enfants surexcités. Tout le monde est heureux. La « centrale ». Ce n’est vraiment pas toujours misère et désolation au Congo. Retour à la maison de mission, tout emballé, et cahotant nous reprenons la route vers Kananga.

Jamais de ma vie je n’ai été autant secoué qu’aujourd’hui.

Juste avant le coucher du soleil, nous étions de retour à la maison. Fatigués mais satisfaits. Couchés tôt. Demain, à 8 heures, une messe au Village, puis direction Kamponde. Au cœur de la brousse, vers le Katanga. J’y ai vécu neuf ans. Jamais je n’aurais pensé pouvoir y revenir un jour. Jamais.

Grâce à Kankala, Marc et moi rentrerons demain chez nous. Les fils du Kasaï. Je suis vraiment impatient.

Jour 8 – Dimanche. Eucharistie au Village – En route vers Kamponde
 

Dimanche matin, très tôt, quatre d’entre nous se lèvent à six heures. Vers huit heures, ils sont au Village des Jeunes Kankala pour la messe dominicale. Chanter, danser, prier comme on ne le fait qu’au Congo.

Tout le monde est satisfait et rentre rapidement, car à midi l’expédition vers Kamponde démarre. Rétrospectivement, une véritable expédition à la Livingstone après la lettre. Deux jeeps chargées à bloc, conduites par Buffalo, frère René, chauffeur brillant, et l’incomparable Étienne, comptable, infirmier et homme à tout faire. Nous pénétrons enfin dans l’intérieur du Kasaï, le vrai Congo, avec ses pistes sablonneuses ravinées par la pluie, la brousse authentique, les plus beaux paysages, les petites et grandes rivières, les milliers de palmiers dispersés, les villages de huttes toujours soigneusement entretenus, les milliers d’enfants, les femmes portant leurs paniers sur la tête et les hommes avec des charges trop lourdes sur leurs vélos archaïques. Ici, presque jamais de moto.

Un trajet normalement de cinq heures devient un périple de neuf. Six fois Buffalo s’embourbe, six fois frère René et Étienne doivent intervenir. On creuse, on pousse, on tend des cordes jusqu’à ce qu’elles cèdent. Quand le soleil se couche idylliquement à l’ouest du Kasaï, on s’acharne à la lumière des phares, on dégage le sable (Luc aussi, il faut le faire), et les Flamands jurent à voix basse. Pas les Congolais, toujours aussi sérieux et joyeux. Pas Jan, toujours d’un calme sibérien, donnant avec le sourire de bons conseils.

L’inquiétude gagne les dames lors du dernier arrêt forcé. « Encore 7 km », nous dit un passant sur un étroit chemin de jungle sous les lianes. Chauves‑souris et papillons de nuit dansent dans la lumière des phares, des centaines de grillons nous accompagnent. C’est une véritable descente aux enfers et en même temps une montée au ciel.

Plus le trajet dure, plus je me demande ce que père et mère étaient venus chercher ici en 1949. Soudain, des centaines d’enfants hurlants et chantants surgissent dans nos phares. Une foule chantante, et au milieu, le grand abbé Joseph, tout de blanc vêtu. À ses côtés, le petit chef du village. Nous sommes à Kamponde, là où Jos et Marc ont vécu tant d’années. Les fils de Kamponde sont arrivés. Et nous avons pu l’entendre. Quelques mots d’accueil, et tandis que la foule se dissipe dans l’obscurité, nous sommes reçus à la procure du presbytère.

Un repas sobre mais précieux nous est offert, de la bière fraîche est servie. Même les dames en boivent. Pas d’électricité, seulement la lumière de petites batteries solaires. Tout le monde est épuisé, et des lits simples nous sont proposés. Annie et Carolien ne dorment pas dans la jeep. Seul Ward se douche encore, tandis que Luc dort déjà profondément, sans s’être lavé. J’apporte un peu d’ordre dans le désordre de mon sac et de ma valise. J’étale tout sur ma table, constate que je ne peux pas recharger mon téléphone, et me glisse dans mon lit. Sans me laver.

Demain, petit‑déjeuner à sept heures et messe à huit heures. Cette journée, nous ne l’oublierons jamais. Moi non plus, personne ne l’oubliera. Je remercie l’Homme là‑haut pour notre arrivée saine et sauve. Je remercie encore ma femme Lieve pour les trois talismans secrets dans la valise. Je les ai retrouvés.

Jour 9 – Célébration du retour des fils de Kamponde
 

Nous nous levons encore tôt. Six heures et demie. « Avec les poules », dit Ward, une poule maigre renversée dans ses mains. Pas de bruits de marché, pas de circulation.

L’air frais du matin tropical flotte dans la cour intérieure. Agréablement frais. Repas sobre, café en sachets, pas de lard ni d’œufs de Benoît, les spaghettis de la veille sont réchauffés. Ils font de leur mieux.

À neuf heures commence la messe de huit heures. L’abbé Joseph a donné le meilleur de lui‑même. Synthétiseur, tambour, enfants dansant en rouge et noir, chorale d’enfants en blanc et bleu, six cents personnes dans l’église. Full house. L’abbé Joseph porte la chasuble verte que j’ai apportée de Flandre, cadeau du curé de Zoutleeuw. Pendant deux heures, il conduit une foule d’enfants chantante, ondoyante, priante, dansante. Encens avec mesure, une clochette cassée, un seau de bureau à l’avant pour l’argent des chaises. Homélie, consécration, communion : une fête vibrante.

Nous marchons vers la maison Ceyssens, aujourd’hui une maternité avec une nouvelle annexe. Pas d’électricité, donc le médecin congolais travaille « avec une main dans le dos ». La maison elle‑même est en mauvais état. Je reconnais beaucoup de pièces et de détails. Je me console en pensant que chaque vieille maison a sa propre histoire, ses générations de nouveaux habitants, d’utilisateurs. En somme, fitou.

Nous poursuivons vers l’ancienne école agricole. Active et non active. Le Directeur me remet une liste de souhaits pour la KUL à Louvain. Nous verrons.

Retour à la paroisse, quelques palabres avec le chef local et les fonctionnaires. Un drone s’élève, des maillots de football sont distribués, des adresses WhatsApp échangées. J’explique à l’abbé Joseph que les éventuelles demandes de Kamponde doivent m’être adressées directement, et non à l’asbl Kankala.

Puis direction le village Bena Kalangala de l’abbé. Accueil à nouveau exubérant, nous visitons les nouveaux bâtiments tandis qu’un orage éclate. « Il faut rentrer », dit Étienne, les routes sont rouges et glissantes. Deux fois embourbés. L’évasion fut héroïque, menée par un curé tirant sur la corde.

Couvert de boue (Luc, Ward, Jan, Étienne encore), nous atteignons de nouveau Kamponde.

Nous visitons rapidement l’autre grande école sous un ciel sombre chargé d’éclairs. La tristesse humaine. Locaux délabrés, une église vide, morte, usée jusqu’à la corde, avec un grand Christ solitaire sur la croix.

Retour à la procure, la boue est lavée et nous nous asseyons pour un repas encore plus sobre. J’apprends en un éclair, via le foyer, l’accident de voiture de Lieve. Pas de blessures, mais l’ambiance est assombrie. Celle d’Annie aussi.

Nous voulons partir très tôt. Il a plu. Le retour sera difficile. Tout le monde le sait. Surtout les dames. Bonne nuit. Aussi pour ceux qui sont à 6000 km au nord. Une voiture n’est qu’une voiture. Ce qui compte, c’est la conductrice et le copilote.

Jour 10 – Retour de Kamponde – Halte à Tshikaji
 

The day after. Un sommeil profond et bienfaisant dans notre hôtel de classe, un petit‑déjeuner de luxe préparé par Benoît et le meilleur café de nous tous…

Nous avons récupéré des 150 km de retour depuis Kamponde. Une véritable épreuve sur certains tronçons.

Hier matin, levés à six heures. Un dernier petit déjeuner minimal, nous rassemblons les restes. Tous les bagages sont empilés sous une bâche bleue. Un auto‑stoppeur avec son vélo à l’arrière, une dernière bénédiction de l’abbé Joseph par la fenêtre ouverte, un signe de croix tracé. Même un sur mon front, venu de loin, d’Europe. Amen. Une certaine inquiétude et tension règnent dans le groupe. Avant‑hier n’est pas oublié. Vraiment pas. Nous savons que la nuit précédente un violent orage a frappé la région. La caravane, deux jeeps de sang pur, quitte Kamponde entre des rangées de huttes. De vraies huttes de paille. À peine une demi‑heure plus tard, voilà que Buffalo s’embourbe dans une descente boueuse. On pousse, on tire, et il se libère dans un nuage noir de poussière et de boue. La première et la dernière fois aujourd’hui. Un signe de l’Homme là‑haut.

Le retour se déroule ensuite sans problème. Nous faisons le plein à Tshymbuli (faire le plein est un grand mot), nous faisons halte sous un papayer monumental, séculaire. Fraîcheur et brise légère. Mon père et ma mère voyagent avec nous, reconnaissant d’en haut l’arbre et le relais. Quelques habitués nous cèdent leurs chaises en plastique, nous partageons nos derniers petits fromages et rêvons d’un café‑restaurant ici plus tard. Sous l’arbre serait un beau nom.

Nous traversons village après village, descentes profondes, montées raides, paysages verts immenses. Nous croisons des centaines d’hommes robustes qui tirent leurs vélos surchargés, transportant manioc, bois, tôles ondulées, petits panneaux solaires, meubles. Tout mon respect. Nous croisons des centaines de femmes magnifiques et robustes portant sur la tête toutes sortes de nourritures dans de grands sacs rouges ou plastiques. Leurs pagnes brillent de toutes les couleurs de l’arc‑en‑ciel. Tout mon respect. Nous croisons des dizaines d’écoles, petites et grandes, avec des centaines d’enfants en blanc et bleu. Nous croisons de petits postes médicaux soutenus par Caritas, Unicef et USAID. Ils savent que Trump et les États‑Unis ont (temporairement) suspendu leur aide.

Nous descendons vers une rivière splendide, large, avec une plage de sable et une eau sombre et limpide. Je me souviens de l’odeur de l’eau vive d’une rivière identique près de Kananga. Une fois par mois, nous y allions nager. Nous croisons des mastodontes de camions immobilisés, chargés de bois de forêt tropicale.

Nous nous arrêtons juste à l’extérieur de Kananga, à l’Hôpital du Bon Berger de Tshikaji. Luc et Carolien y ont travaillé et vraiment vécu. Aujourd’hui encore, en bon état, frais, pelouses impeccables. Luc est reconnu après toutes ces années par le responsable de l’hôpital actuel. Vraie émotion. Vraies larmes. Quel dommage qu’il n’y ait plus de visiteurs, plus de médecins ni d’infirmiers venus de l’Occident. Ni Américains, ni Belges. Pour moi, ce complexe est un souffle d’air frais en matière de soins hospitaliers au Kasaï. Désormais en gestion locale.

Nous sommes presque chez nous quand, sur une rocade en construction, apparaît une gigantesque flaque d’eau. Frère René décide de lancer sa jeep à pleine vitesse à travers. Vitres fermées. Rugissant, sa voiture fend l’eau noire. Soudain, un trou profond, et le véhicule plonge d’un mètre. Une énorme fontaine noire, saumâtre et puante jaillit et retombe sur la voiture. Je suis assis devant, à droite. Un instant, il fait sombre à l’intérieur. J’entends René changer de vitesse et soudain le 4x4 se libère et ressort de l’eau. Il rit, visiblement soulagé. Buffalo fait un détour. Pour lui, cela n’aurait pas marché. J’en suis sûr.

Tsheila. De retour dans notre centre, une bière glacée est servie. Tous fatigués mais sincèrement heureux d’avoir vécu trois jours d’aventure au cœur de la brousse du Kasaï. Peut‑être même d’y avoir survécu. Chacun se lave deux fois. Rien n’est plus agréable que de verser de l’eau glacée sur sa tête et son cou après une telle route. Le repas chaud du « Sheraton Benoît » suit. Tout y est. Nous sommes éternellement reconnaissants à ce vieux cuisinier.

 

Jour 11 – Bureau de protection des enfants et femmes - Interrogation Annie par la police -Visite Kananga II
 

Un nouveau jour, une nouvelle aventure. Chacun à table à l’heure. Pour moi, une journée tranquille : écrire, lire les journaux, peaufiner le dossier des premiers secours avec Luc.

Pour les autres, encore une série de réunions avec tous nos partenaires à l’intérieur et à l’extérieur de Kananga. En petits groupes de travail. Luc et Jos sont emmenés par Buffalo pour deux visites privées. D’abord une clinique orthopédique des Frères de la Charité, Jukaij (Lève‑toi !). Luc y avait travaillé il y a vingt ans avec le Dr Schuermans et le Dr Dierix, et avait lui‑même participé à l’installation d’un nouveau bloc opératoire. Tout est remarquablement en ordre et bien entretenu. Même les pelouses. Plusieurs membres du personnel reconnaissent encore Luc par son nom. Rien d’étonnant.

Ensuite, direction le centre. Nous visitons le lycée Buena Mundi. Aujourd’hui, 2000 jeunes filles. Les filles de la génération TikTok sont partout les mêmes : les cœurs, le langage gestuel, le signe V. Ma sœur Ria y a été interne deux ans, en première et deuxième année, par périodes de deux à trois mois. Ce n’était vraiment pas la période la plus agréable de sa vie, avec peu de contact avec ses deux frères en dehors de la ville. C’était ainsi.

Après le déjeuner, en route vers Kananga II, avec un arrêt au bureau de protection des femmes et des enfants. Suite à une demande de Marc de photographier les biens du CrsK dans la ville, Annie a – sans le savoir – photographié le bâtiment de la police secrète. Entre deux agents, elle est arrêtée. Procès‑verbal, menace d’une amende de 1800 dollars. Après une demi‑heure d’interrogatoire, Liliane et Carolien viennent en renfort. Palabres, interrogatoires, menaces. Annie reste calme et dit la vérité, rien que la vérité.

Après un plaidoyer magistral d’Étienne, elle est libérée au bout de deux heures. Eh bien, eh bien. Merci Étienne.

Ensuite, départ vers Kananga II pour une visite écourtée et la remise d’un grand sac rempli de jouets, perles et fleurs offerts par une généreuse bienfaitrice. Encore tout excité, Étienne arrive le premier à Tsheila et raconte l’histoire en détails et en couleurs. Plus tard, Annie arrive. Émotion, embrassades entre mari et femme, tout le monde est heureux.

Tout le monde boit une bière, tout le monde se détend. Étienne est porté aux nues. Puis seulement un repas de pain avec soupe et une pointe de pili pili. On raconte, on rit, on rit encore, on échange des messages avec la maison. Jos Craemers présente sa comptabilité de l’ORS à Marc.

Tout le monde se couche tôt aujourd’hui. La fatigue tropicale se fait sentir.

Jour 12 – Réunions O.M. – Kananga – C.A. – Mise en ordre de la salle des premiers secours – Dîner d’adieu avec la direction et le C.A.
 

Dernier jour à Kananga. Les dernières réunions avec nos divers partenaires sont soigneusement menées à terme. Nos souhaits, leurs souhaits.

Avec Luc et Étienne, nous nous attaquons à la salle des premiers secours. À fond. Quatre grandes boîtes et un grand sac de jute sont remplis de toutes sortes de bric‑à‑brac et de déchets médicaux. On réorganise, on enlève la poussière accumulée depuis des années. Tous les médicaments, tous les bandages, tout le matériel de plâtre, tous les instruments sont reclassés et la table d’examen placée au bon endroit. On brosse, on parle de nouvelles prises et d’une nouvelle armoire. Des affiches sont fixées avec du ruban adhésif. Le bureau d’Étienne est vidé, toutes les prises et chargeurs trouvent leur place sur un petit banc en bois. Deux kits de premiers secours distincts sont préparés pour le Village et pour Kananga II. Luc et Jos transpirent à grosses gouttes. Tout brille, ou presque, tout le monde est satisfait. Pendant que Luc et moi remettons la salle en ordre, plusieurs groupes de travail se réunissent.

Les mamans de Kananga II avec Annie, Caroline et Liliane.

Ensuite, Annie et Caroline écoutent les besoins des gens de l’Open Milieu, le moteur de Kankala. L’engagement de ces personnes est grandiose.

Après le déjeuner, encore une grande réunion avec le C.A., puis chacun commence doucement à préparer ses bagages.

À cinq heures, deux jeeps partent vers le restaurant. La fourmilière de la route principale est laissée derrière, et cent mètres plus loin, notre univers change soudain. Un grand hôtel moderne avec de belles chambres, de vastes salles, une piscine (vide) et un grand jardin. Une transformation visuelle stupéfiante après tant de jours de poussière, de saleté, de sable et de boue. Nous mangeons un délicieux poisson et buvons la meilleure bière à une longue table rouge. Seules les bougies manquent. L’ambiance est excellente et chacun prononce un discours du cœur. Les uns brefs, les autres plus longs. Le président ne dit rien, et donc tout. Une prière de remerciement est prononcée et l’on chante. Saint Étienne est exubérant.

L’Homme là‑haut veille à ce que le lourd orage au‑dessus de Kananga reste à distance. Seuls les éclairs illuminent sans cesse le ciel noir.

Nous concluons et rentrons en chantant, en riant. Je lis un message WhatsApp de Lieve : la start‑up Revision de mon fils a été la première des cinquante récompensées par Deloitte comme entreprise hautement technologique, avec la plus grande reconnaissance et l’innovation la plus performante. Au cœur de la brousse africaine, une larme coule et mon cœur se tait. En vérité, Frederik, mon fils aîné, a aussi commencé sa vie à Kamponde, au fond du Kasaï. Grand‑père, fils, petit‑fils. Ainsi va la vie. Nous le savons tous.

Jour 13 – Adieux à Tsheila et vol de retour vers Kinshasa
 

Vendredi matin. Le jour du retour à Kinshasa.

Ce sera une longue, longue journée. Levés tôt. Presque pas dormi à cause d’un concert religieux exubérant un peu plus loin. « Je vous souhait bonjour » est le dernier chant qui a traversé la nuit tropicale vers cinq heures du matin.

À six heures, nous sommes debout. Le matin est encore fragile et délicat. Dernier petit déjeuner : restes de fromage, de confiture et de sachets de café. Les bagages sont chargés. Les sages de la tribu sont là : Buffalo, Étienne, Germaine (Kananga II), Germaine (secrétariat), René, Benoît.

Pas une petite somme. Ils nous accompagnent à l’aéroport, sauf le cuisinier. À onze heures, nous sommes à la porte de l’aéroport. Vol retardé. Ce sera dix‑neuf heures ce soir, pour une raison connue de Dieu seul.

Retour à Kananga. Sous l’arbre, notre premier restaurant, devient notre salle d’attente pour cinq longues heures. Poulet, bière, eau, lecture, blagues flamandes qu’ils ne comprennent pas, une longue histoire congolaise drôle d’un lion et d’un crocodile que nous comprenons bien. Étienne est vraiment un né pour divertir.

À dix‑sept heures, retour à l’aéroport. L’enregistrement dans un hall minuscule, délabré, se fait dans un chaos complet de corps criants, zélés, poussants, transpirants, écrivant, fouillant. Chaque valise est ouverte et fouillée. Chaos.

Notre groupe se regroupe derrière cette zone de guerre et opte pour une retraite stratégique. Dehors, à l’ombre d’un grand arbre. L’attente recommence, sur des chaises en plastique branlantes. Lecture, boissons, plaisanteries, et surtout une attente interminable et ennuyeuse. Ici aussi, je vois la ceinture de plastique s’agrandir. Le ciel s’assombrit lentement et les premiers éclairs apparaissent. Un énième orage au‑dessus de Kananga. Pas là où nous sommes.

Viendra‑t‑il de Kin ? L’avion sauveur ? Il est venu. À dix‑neuf heures, enfin. Cette fois, en longue file, nous embarquons disciplinés. Les premières gouttes tombent quand le vieil Airbus rouge décolle. Entre les nuages d’orage, éclairs partout. Aucun problème en route et voici Kinshasa. Tout roule désormais comme sur des chenilles : trajet rapide, chambre retrouvée (quel luxe, eau chaude pour certains, air conditionné).

À la recherche d’un repas chaud, nous échouons au Majestic, sur le puissant fleuve Congo sombre. Trop tard, après dix heures. Puis direction O’Pueta pour une délicieuse pizza. Le restaurant rouvre spécialement pour nous.

Retour à Scheut où je m’endors comme une pierre. Tout le monde. Bonne nuit.

Jour 14 – Visite à l’Ordre de Malte et au centre pour enfants des rues Orper
 

À sept heures et demie, je me lève. Eau chaude, je me douche deux fois, chaud et froid. Je lave mes cheveux deux fois, je me sèche avec une serviette blanche et je me retrouve dans un vrai miroir redevenu Jos. C’est samedi.

Nous sommes attendus à l’ambassade de l’Ordre de Malte. Je porte exceptionnellement une chemise. Pas de cravate. Au cœur du quartier des diplomates, chez Geoffroy de Liedekerke, nous sommes reçus. Chaque année, il accueille notre association avec tout ce qu’il faut. Une oasis à Kinshasa. Cet Ordre se consacre à la charité chrétienne et est réputé pour son hospitalité. Une hospitalité véritable. Pas de faux semblants. Au Congo, ils sont l’un des pivots de Caritas pour l’acheminement de matériel médical. Véritable champagne, amuse‑bouches, deux serveurs en grand uniforme lors d’une réception debout.

Deux sœurs âgées sont également invitées. Une table magnifiquement dressée nous attend. Les mets les plus délicieux sont servis, les meilleurs vins, de l’eau pétillante bien fraîche et le dessert obligé. Je suis assis à côté d’une sœur de 98 ans, originaire de Gand, médecin et diabétologue. Encore toujours consultante. Je suis stupéfait par son humour, sa sagesse et ses réflexions. Retour au salon pour le café, le pousse‑café et les pralines Neuhaus. On parle de tout et de rien, de façon informelle, simplement. L’ambassadeur est totalement lui‑même. Pas de faux semblants.

Il raconte que sa mère a 96 ans et vit dans le Brabant wallon. 'Un 9,6 sur 10 déjà de la part de l’Homme là‑haut', dis‑je. Il sourit et promet de transmettre le message. C’est une expérience extraordinaire pour chacun. Jan prononce le mot de remerciement parfait. Nous prenons congé. Marc et moi faisons une pause, une sieste. Le reste du groupe se rend à notre dernier rendez‑vous, au cœur de la ville.

Orper est un projet d’accueil et de réintégration pour enfants des rues à Kinshasa, comparable à Kankala. Un groupe de soutien belge de Diepenbeek appuie cette initiative. Nous sommes accueillis dans l’une des cinq maisons d’Orper : deux pour les filles, trois pour les garçons. Aujourd’hui, nous sommes reçus chez les filles, 32 au total, qui, avec le Père Ange, nous ouvrent une fenêtre sur leur vie quotidienne. Pendant la rencontre, nous échangeons expériences et idées. Mais ce qui nous marque le plus, c’est l’ampleur du problème. Rien qu’à Kinshasa, on estime qu’il existe plus de cinquante organisations actives pour les enfants des rues. Et pourtant, le flot ne semble jamais s’arrêter. Une réalité bouleversante qui ne vous lâche pas. Dans le chaos et les embouteillages du dimanche soir, nous regagnons la Procure. Annie

Dernier repas du soir encore à Scheut, un dernier verre au bar. Nous remercions Jan, le chef de voyage, pour tout, puis allons nous coucher. Demain, retour en Belgique. Bonne nuit.

Jour 15 – Visite à Siafe N’Sélé et réception dans la maison familiale de Marceline
 

Levés tôt. Je remplis et range mes deux valises avec une précision chirurgicale et je mets de l’ordre dans ma chambre comme j’espère que ma petite‑fille le fera un jour. Je laisse deux petits flacons de shampooing et un savon pour la dame qui viendra nettoyer.

Aujourd’hui est notre dernier jour au Congo. Aujourd’hui, notre dernier petit déjeuner à la Procure Sainte‑Anne. Une forteresse et un carrefour des Scheutistes à Kinshasa. Hier, aujourd’hui et demain pour de nombreux Belges.

En voiture vers le centre où, dans un cadre moderne de Brussels Airlines, nos valises sont enregistrées et toutes les cartes d’embarquement préparées. Plus de tracas plus tard à l’aéroport. Il est midi et nous quittons Kin.

Nous visitons encore l’implantation extérieure du projet de vie de Marceline : Siafe. Un bâtiment neuf pour trente filles et plus, entièrement financé par le Japon. Seule la distance de 15 km reste un obstacle difficile à franchir pour les élèves de cette école technique. Un minibus pourrait être une solution. À suivre. Chacun reçoit une belle chemise ou robe congolaise soigneusement confectionnée. Les dames sont ravies. 

Ensuite, Marceline nous invite à un déjeuner à quatre heures dans la maison familiale, plus loin. Son père fut haut fonctionnaire sous Mobutu. La maison était et reste à la hauteur : grande, belle, blanche, dominant le fleuve Congo. Marceline et sa famille ont fait de leur mieux et sorti le grand jeu. Vin blanc et rouge, eau pétillante, viande, poisson, champignons, banane frite, tomates, riz et bidea.

Dehors, nous voyons le soleil rouge se coucher sur le puissant fleuve Congo. Des milliards de litres d’eau venus de la forêt équatoriale se précipitent vers l’océan Atlantique. Jusqu’à treize kilomètres de large et deux cents mètres de profondeur par endroits. Un géant d’eau. Tout le groupe se rassemble pour une photo. La dernière photo de groupe.

La nuit tombe et nous nous dirigeons vers l’aéroport. Scènes délirantes de foules de supporters devant les écrans verts des cafés de route. Le Real bat Barcelone (football espagnol NB) et notre file est envahie par des milliers de supporters à pied ou à moto. Incredibile. Le football est clairement un sport mondial.

À temps à l’aéroport, une heure d’attente, les dames changent de tenue, embarquement calme. Pas de chaos, pas de cris, pas de bousculades. Un soulagement. À 22h40, nous décollons. Juste le temps de prévenir la maison. La Belgique nous attend. Lieve nous attend. Jamais je ne pense vivre un voyage plus aventureux, plus inhabituel, plus difficile et plus beau. J’ai découvert le fonctionnement de Kankala pour les enfants des rues à Kananga, l’enthousiasme et la compétence du personnel. J’ai eu la chance de retrouver, au cœur de la brousse, Mikalayi, mon lieu de naissance, ainsi que la maison de mes parents et de leurs huit enfants à Kamponde. Un rêve de longue date. Ce fut une expédition légendaire, presque impossible, à travers la brousse. La maison de mon père n’est plus la même. Au contraire. Elle est devenue une maison médicale. En mauvais état certes. Mais l’esprit et l’âme de mes parents étaient présents. Incontestablement.

Mesdames et messieurs de Kankala, ce fut pour moi un honneur et un vrai plaisir de faire partie de ce groupe de neuf. Les anciens et les nouveaux venus en Afrique. Dans le champ de Dieu poussent de nombreuses fleurs. Heureusement.

Les neuf fleurs de Kankala formaient un beau bouquet. Jan et Liliane, Marc et Annie, Carolien, Luc, Ward, Jos et Jos. Bonne nuit.

Rapport  Annie Princen - Jos Ceyssens 
Photos   Annie, Caroline, Jan, Jos, Jos, Marc, Liliane, Luc, Ward
Date 30.10.2025